C’est un phénomène nouveau et en expansion, selon la police: après des années de trafics en tous genres, les délinquants issus des cités françaises ont fait leur entrée sur le marché de la prostitution en exploitant des jeunes filles souvent mineures.
« Nous étions persuadés que les cités échappaient au phénomène de la prostitution. Le quotidien de cette délinquance relevait davantage des braquages, des trafics et surtout des stupéfiants. Mais aujourd’hui les choses ont changé », souligne Jean-Marc Droguet, le patron de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCTREH).
« Nous sommes passés de quelques cas en 2014, à 21 affaires en 2015, puis 48 affaires en 2016. Sur les premiers mois de 2017, nous tournons déjà à une vingtaine d’affaires ».
Le profil des nouveaux proxénètes? Généralement « un petit groupe de copains », pas aussi structuré que les réseaux d’Europe de l’Est, mais avec une organisation assez hiérarchisée et des tâches bien définies « entre celui qui traite avec le client, celui qui loue la chambre, celui qui fait le chauffeur ou le guet », relève une magistrate spécialisée du parquet de Bobigny, en banlieue parisienne.
« Ce ne sont pas des caïds mais souvent des seconds couteaux », des « petites frappes » qui explorent un nouveau marché criminel parce que celui des stupéfiants, en particulier le trafic de cannabis, est saturé.
En mai, deux hommes d’une vingtaine d’années déjà connus pour trafic de stupéfiants ont ainsi été condamnés par le tribunal correctionnel de Meaux à quatre ans de prison, dont un an avec sursis, pour avoir prostitué leurs petites amies de 15 et 16 ans dans des hôtels de Seine-et-Marne.
Souvent mineures, les prostituées sont en majorité des fugueuses, en rupture avec leur famille à cause de maltraitances ou à la suite d’un conflit lié à leur réputation ou à l’argent.
« C’est d’ailleurs ainsi que les dossiers arrivent au parquet », après un signalement pour disparition inquiétante émis par les familles ou par l’Aide sociale à l’enfance.
Une conseillère principale d’éducation (CPE) de Seine-Saint-Denis cite, elle, le cas d’une jeune fille rasée et séquestrée par sa famille pour avoir eu des relations sexuelles avant le mariage. Partie de chez elle, elle s’est retrouvée « prise en main » par des jeunes qui lui offraient le gîte et le couvert en échange de prestations sexuelles.
« L’appel à la consommation » d’objets coûteux peut aussi inciter des adolescentes à vendre leur corps, observe la conseillère principale d’éducation, qui dénonce le rôle des réseaux sociaux comme Instagram où les jeunes se mettent en scène à grands renforts d’accessoires de luxe.
Mais derrière « l’aplomb » souvent manifesté par les victimes lors des audiences et la revendication à disposer librement de leur corps se cache un important « besoin d’affection », souligne la magistrate de Bobigny. Elles s’imaginent « être la copine de leur +mac+, disent être amoureuse de lui ».
Signe de cette « emprise », police et justice recensent très peu de plaintes de la part des victimes, malgré l’exploitation effrénée dont elles font l’objet. Dans l’affaire jugée à Meaux, les passes pouvaient atteindre soixante-dix par semaine, et les prestations, facturées entre 50 et 90 euros la demi-heure, avaient lieu dans des chaînes hôtelières bon marché, des logements privés ou des voitures.
Clients et prostituées étaient mis en relation par l’intermédiaire de sites marchands comme Vivastreet ou Wannonce qui, selon un policier, « participent » pleinement au développement de cette nouvelle prostitution invisible.
Le profil des clients ? Egalement passibles de sanction depuis la loi du 13 avril 2016, il ne diffère pas de la prostitution plus traditionnelle : « Monsieur tout-le-monde ».
AFP.