brassens manuscrits de chanson en vente. art curial.

Le 23 septembre 2020.

Et ce sont finalement les manuscrits de la  » Supplique pour être enterré à la plage de Sète (lot 233) qui a raflé la mise : 5 fois plus que les estimations…Mais il faut savoir ce qu’a dit Brassens un jour à ses copains Ferré et Brel réunis : « Je te signale que je m’en fous d’être enterré à la plage de Sète, cela m’est complétement égal. J’ai fait ça pour m’amuser, pour aller aux bains de mer…. »

La chanson est en fait un prétexte pour se référer à Paul Valéry, décrire un paysage qui lui est familier et parler de la mort sur un ton badin…

Paroles

La Camarde qui ne m’a jamais pardonné
D’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d’un zèle imbécile
Alors cerné de près par les enterrements
J’ai cru bon de remettre à jour mon testament
De me payer un codicilleTrempe dans l’encre bleue du Golfe du Lion
Trempe, trempe ta plume, à mon vieux tabellion
Et de ta plus belle écriture
Note ce qu’il faudra qu’il advint de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord
Que sur un seul point, la ruptureQuand mon âme aura pris son vol à l’horizon
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson
Celles des titis, des grisettes
Que vers le sol natal mon corps soit ramené
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée
Terminus en gare de SèteMon caveau de famille, hélas! n’est pas tout neuf
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf
Et d’ici que quelqu’un n’en sorte
Il risque de se faire tard et je ne peux
Dire à ces braves gens, poussez-vous donc un peu
Place aux jeunes en quelque sorteJuste au bord de la mer à deux pas des flots bleus
Creusez si c’est possible un petit trou moelleux
Une bonne petite niche
Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins
Le long de cette grève où le sable est si fin
Sur la plage de la cornicheC’est une plage où même à ses moments furieux
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux
Où quand un bateau fait naufrage
Le capitaine crie « Je suis le maître à bord!
Sauve qui peut, le vin et le pastis d’abord
Chacun sa bonbonne et courage »Oh, et c’est là que jadis à quinze ans révolus
A l’âge où s’amuser tout seul ne suffit plus
Je connu la prime amourette
Auprès d’une sirène, une femme-poisson
J’ai reçu de l’amour la première leçon
Avalait la première arêteDéférence gardée envers Paul Valéry
Moi l’humble troubadour sur lui je renchéris
Le bon maître me le pardonne
Et qu’au moins si ses vers valent mieux que les miens
Mon cimetière soit plus marin que le sien
N’en déplaise aux autochtonesCette tombe en sandwich entre le ciel et l’eau
Ne donnera pas une ombre triste au tableau
Mais un charme indéfinissable
Les baigneuses s’en serviront de paravent
Pour changer de tenue et les petits enfants
Diront, chouette, un château de sable!Est-ce trop demander, sur mon petit lopin
Planter, je vous en prie une espèce de pin
Pin parasol de préférence
Qui saura prémunir contre l’insolation
Les bons amis venus faire sur ma concession
D’affectueuses révérencesTantôt venant d’Espagne, tantôt d’Italie
Tous chargés de parfums, de musiques jolies
Le Mistral, la Tramontane
Sur mon dernier sommeil verseront les échos
De villanelle, un jour, un jour de fandango
De tarentelle, de sardaneEt quand prenant ma butte en guise d’oreiller
Une ondine viendra gentiment sommeiller
Avec moins que rien de costume
J’en demande pardon par avance à Jésus
Si l’ombre de sa croix s’y couche un peu dessus
Pour un petit bonheur posthumePauvres rois pharaons, pauvre Napoléon
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon
Pauvres cendres de conséquence
Vous envierez un peu l’éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant
Qui passe sa mort en vacances

Qui passe sa mort en vacances

le 21 Septembre 2020.

Y compris à l’encre verte comme ce manuscrit autographe du Fossoyeur, la chanson qui figure sur son premier 33 tours, la Mauvaise réputation. 3 strophes et deux lignes au verso d’une facture de spiritueux.

On y trouve les deux thèmes qui courront tout au long de la carrière de Georges Brassens : la mort et le portrait de personnages solitaires. C’est le lot 219.

Ainsi donc Art Curial disperse en ce mardi 22 septembre en son hôtel des ventes de l’avenue des Champs Elysées des manuscrits du chanteur ayant appartenu à Fred Mella, l’un des Compagnons de la chanson, très proche du chanteur.

Ce 22 septembre : le hasard du calendrier affirme Art Curial.

Parmi les textes manuscrits de Brassens, il y a, en effet, celui de l’amoureux éconduit qui se lamente de son infortune, mais qui le jour anniversaire de la rupture, termine chaque couplet par « le 22 septembre, aujourd’hui, je m’en fous ».

Hervé Poulain rappelle la formule de Balzac empruntée à Cervantès :  » le hasard, c’est le doigt de Dieu ».

De l’encre verte, bleue ou noire.

Des feuilles volantes. Une écriture serrée, plutôt ronde et plutôt lisible.

Le lot 222 par exemple propose un ensemble de manuscrits de travail pour Le Vieux Léon qui ouvre l’album, le phonographe, gravé en 58. C’est une des très rares chansons de Brassens en 4 pieds. On voit dans ces documents ses recherches et ses tâtonnements et beaucoup de choses différentes de la version définitive. Les feuillets sont noircis tête bêche et recto verso.

« Et dans nos coeurs / Pauvre joueur / D’accordéon / Tu es bien mon vieux / Et même mieux qu’au Panthéon  » devient « Et dans nos coeurs / Pauvre joueur / D’accordéon / Il fait ma foi / Beaucoup moins froid / Qu’au Panthéon /.

Le lot 223, c’est le manuscrit quasi définitif de Supplique pour être enterré à la plage de Sète. Il commence au vers 37 et va jusqu’au dernier le 81. Les variantes consistent essentiellement en l’inversion de deux couplets et en de petites modifications d’articles. On y voit Brassens chercher comment agencer ses vers et ses idées sans tomber dans le verbiage et l’anecdote. « (Tillieu, Poulanges, les Manuscrits de Brassens).

Dans leur grande majorité, les lots sont estimés entre 1500 et 3 000 euros avec toutefois entre 8 et 12 000 euros pour le manuscrit autographe de la chanson Les Deux Oncles. Sortie sous le règne de de Gaulle, elle fit polémique, récusée par les admirateurs même de Brassens et fut …. censurée… à la radio.

« La chanson d’un gars qui serait en train de mal tourner » pour Libération du 19 novembre 1964 et « Georges Brassens défend l’indéfendable » pour l’humanité du 24 novembre .

En voilà les paroles

« C’était l’oncle Martin, c’était l’oncle Gaston
L’un aimait les Tommies, l’autre aimait les Teutons
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts
Moi, qui n’aimais personne, eh bien ! je vis encor

Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé
Que vos veuves de guerre ont enfin convolé
Que l’on a requinqué, dans le ciel de Verdun
Les étoiles ternies du maréchal Pétain

Maintenant que vos controverses se sont tues
Qu’on s’est bien partagé les cordes des pendus
Maintenant que John Bull nous boude, maintenant Que c’en est fini des querelles d’Allemand

Que vos fill’s et vos fils vont, la main dans la main
Faire l’amour ensemble et l’Europ’ de demain
Qu’ils se soucient de vos batailles presque autant
Que l’on se souciait des guerres de Cent Ans

On peut vous l’avouer, maintenant, chers tontons
Vous l’ami les Tommies, vous l’ami des Teutons
Que, de vos vérités, vos contrevérités
Tout le monde s’en fiche à l’unanimité

De vos épurations, vos collaborations
Vos abominations et vos désolations
De vos plats de choucroute et vos tasses de thé
Tout le monde s’en fiche à l’unanimité

En dépit de ces souvenirs qu’on commémor’
Des flammes qu’on ranime aux monuments aux Morts
Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous
Révérence parler, tout le monde s’en fout

La vie, comme dit l’autre, a repris tous ses droits
Elles ne font plus beaucoup d’ombre, vos deux croix
Et, petit à petit, vous voilà devenus
L’Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus

Maintenant, j’en suis sûr, chers malheureux tontons
Vous, l’ami des Tommies, vous, l’ami des Teutons
Si vous aviez vécu, si vous étiez ici
C’est vous qui chanteriez la chanson que voici

Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés
Qu’il est fou de perdre la vie pour des idées
Des idées comme ça, qui viennent et qui font
Trois petits tours, trois petits morts, et puis s’en vont

Qu’aucune idée sur terre est digne d’un trépas
Qu’il faut laisser ce rôle à ceux qui n’en ont pas
Que prendre, sur-le-champ, l’ennemi comme il vient
C’est de la bouillie pour les chats et pour les chiens

Qu’au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi
Mieux vaut attendre un peu qu’on le change en ami
Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main
Mieux vaut toujours remettre une salve à demain

Que les seuls généraux qu’on doit suivre aux talons
Ce sont les généraux des p’tits soldats de plomb
Ainsi, chanteriez-vous tous les deux en suivant
Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants

O vous, qui prenez aujourd’hui la clé des cieux
Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu
Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-bas
Offrez-leur de ma part ces « Ne m’oubliez pas »

Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin
Un p’tit forget me not pour mon oncle Martin
Un p’tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston
Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons… »

La Femme Qui Marche avec / Art Curial

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