Comme le dit Mathilda May elle-même, les acteurs d’Open Space sur scène n’ont pas de texte à prononcer. Cela ne les empêche pas de « parler » aux spectateurs. Car derrière les onomatopées et les borborygmes, ce sont comme des mots que l’on entend. Derrière les bruitages, les attitudes, la musique aussi ….On pourrait craindre que tout un spectacle sans mots soit long comme un jour sans fin. Et bien non et voilà tout le talent de Mathilda May qui a le sens des rebondissements et des comédiens qui rendent universelle cette fresque sur le monde du travail… Merci au Théatre du Rond-Point qui a fait connaître cette pièce cet hiver. Elle est reprise aujourd’hui au théatre de Paris
Hharghr grùchtrbtr chtrhkof ?
1 journée dans l’open space d’une entreprise, ces espaces sans cloison censés optimiser l’espace et « le travail commun » où l’on partage, obligé, les conversations et l’intimité des autres. Vase clos de petites et grandes mesquineries où l’on se fait remarquer par le bruit que l’on émet. 6 employés, hommes et femmes qui se supportent et s’insupportent. Une épopée tragique et drôle, entre Kafka et les Monty Python. Très drôle, savoureux, intelligent, sans équivalent.
Après le Théatre du Rond-Point, le Théatre de Paris accueille « Open Space » du 7 mai au 12 Juillet.Mardi au samedi 21h00. Dimanche à 15h30.
Entretien avec Mathilda May.Propos recueillis par Pierre Notte
« Open Space », c’est un lieu de travail. Mais qu’est-ce qui caractérise particulièrement cet endroit ?
C’est avant tout un lieu où des gens se trouvent condamnés à vivre ensemble… Le spectacle se joue sur une journée complète, de l’ouverture du bureau à la fermeture… Les thématiques du travail et de la cohabitation sont finalement assez rarement traitées au théâtre, elles sont pourtant d’une puissance formidable. On va suivre les habitudes, les petits problèmes et les grands fantasmes de chacun au fil du temps ordinaire d’un jour au bureau. Le lieu lui-même n’est pas marqué par une époque, mais on sent bien que les patrons successifs ont tenté de le moderniser un peu, d’y ajouter leur touche personnelle. Il y a une cabine pour les fumeurs, mais il reste un vieux minitel.. C’est là que travaillent six agents au même niveau, que rejoignent un patron, un réparateur de machine à café, un ambulancier, une femme de ménage…
Que va-t-il se passer ?
On découvre les caractères de chacun, leur problématique de vie, leur façon d’être par rapport au monde et avec eux-mêmes. Les attirances,les rivalités, les agacements… Puis on va rentrer dans la tête des uns et des autres. Les colères, les fatigues. Il y a celui qui s’endort, celle qui boit un peu trop, celui qui fantasme sur le réparateur de la machine à café, le battant, qui veut toujours se rapprocher plus près du patron, et ses rêves de grandeur. Et puis il y a les cauchemars de celui qu’on a mis au placard, que personne ne voit ni n’entend jamais. Il est transparent, et même s’il tente de se suicider, personne ne s’en aperçoit. On ne sait pas ce qu’ils font, comme métier, ni quel est l’objet de leur production. On pourrait penser qu’il s’agit d’une petite compagnie d’assurance. C’est leur intimité qui m’intéresse, confrontée aux obligations du boulot, à la hiérarchie, à la routine… leurs affinités entre eux, les attirances, les répulsions, les révélations. On comprend peu à peu, dans cet espace partagé par tous, que la boîte est en train de couler. Il y a aussi la mort, qui rôde. Ce qui me touche, c’est l’absurdité de tout cela, de la paperasse, des places à prendre, à trouver ou à garder, et dans tout ça les sentiments amoureux.
Tout est affaire de danse, de rythme, de musique, mais jamais de texte, pourquoi ? Ou pourquoi pas ?
Le spectacle est né des sons. J’avais en tête l’espace sonore, et les bruits du spectacle qui se déclinent en 3 catégories. D’abord la musique, de bout en bout originale, avec des chants tyroliens ou des chœurs. Ensuite les sons en « live », c’est-à-dire tous les bruits provoqués en direct par le matériel de bureau, les dossiers qu’on classe, la machine à café, les grincements des fauteuils, les bâillements du matin, la mise en route, les crayons qu’on taille… Et troisièmement, le « sound design », les trois cents « tops sons » qui ponctuent l’action. La chasse d’eau quand quelqu’un va aux toilettes, les avions qui défilent au dehors quand on ouvre la fenêtre, et la pluie, l’orage, le vent, les coups de poings d’un combat de boxe, les sonneries des téléphones, les talons aiguilles d’une femme agaçante qui prend de la place par le bruit qu’elle fait, incessant… Tout est ensuite affaire de rythme, de coordination des mouvements, des images, des corps dans l’espace. Mais ce sont des comédiens, non des danseurs, qui racontent l’aventure humaine d’une journée de travail, sans paroles, mais avec des onomatopées, des borborygmes. Ce n’est pas tout à fait sans texte, mais c’est sans mots, sans paroles précises. Et pourtant, tout le monde comprend, reçoit. Le langage scénique est compréhensible par tous. C’est un langage de signes, de codes, de sons et de bruits qui fait sens. C’est une musique que tout le monde connaît et reconnaît, et qui touche, je crois, à un autre endroit le public. Moins cérébral, plus émotionnel, plus sensible. On renoue peut-être avec une sorte d’archaïsme du langage des nourrissons, qui comprennent tout sans avoir les mots !… J’ai créé avec Pascal Légitimus le spectacle « Plus si affinités, dans lequel nous jouions une rencontre dans un avion, sans parole possible, avec des bruits, des borborygmes… ça a été le déclencheur de Open Space. J’ai traversé souvent des rédactions de magazines, j’ai toujours été fascinée par le vacarme de ces endroits ouverts, où tout le monde s’agite, parle en même temps, le bruit dingue et la parole incompréhensible… Et tout cela a donné Open Space….. »
Propos recueillis par Pierre Notte. Mardi au samedi 21h00. Dimanche à 15h30. Théatre de Paris. 7 mai au 12 juillet.