Vêtement ouvrier devenu symbole des femmes libres dans les « années folles » puis adopté par des stars, le débardeur, petit haut de coton sans manche, s’expose au Mucem, à Marseille, où il se fabrique encore sur des machines historiques.
L’exposition « Vêtements modèles » jusqu’au 6 décembre au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée s’organise autour de cinq vêtements « iconiques » qui ont traversé les époques et les modes.
A l’origine, ce « vêtement du dessous » est un tricot de peau formé d’une seule pièce de coton tubulaire. Et il absorbe bien la sueur grâce à sa maille tricotée, rappelle Colline Zellal, commissaire associée
Le bleu de travail, le kilt, l’espadrille, le jogging –lui aussi sous-vêtement à l’origine avant de conquérir les sportifs des universités anglaises de Cambridge et Oxford puis de devenir l’uniforme de la culture hip hop– y côtoient le débardeur soit avec des pièces originales de créateurs, soit à travers leurs représentations dans la culture populaire (musique, BD, cinéma, affiches, jeux vidéos).
Particulièrement adapté au travail physique, des usines aux grands ports maritimes comme celui de Marseille, le débardeur tire son nom de « débarder », l’action de décharger des marchandises à quai.
Sur une grande toile du peintre Antoine Serra (1908-1995), on voit au Mucem, un docker vêtu d’un débardeur blanc manifeste à Marseille contre la guerre d’Indochine.
Dans la première moitié du XXe siècle, le débardeur incarne une certaine image –parfois très stéréotypée– de la virilité et du prolétaire. Loin de Marseille, c’est l’acteur américain Marlon Brando qui le porte déchiré dans « Un tramway nommé désir » (1951) pour son rôle de Stanley Kowalski, emblème d’une « virilité brutale ».
Mais le débardeur servira aussi « d’étendard à une nouvelle féminité » dans les « années folles (1920-1930).
Les « garçonnes », ces femmes aux cheveux coupés courts qui revendiquent leur indépendance, « se mettent à le porter même sans soutien-gorge, ce qui est d’une grande liberté pour une époque où on porte encore des corsets ».
L’exposition montre des tirages du photographe Jacques-Henri Lartigues immortalisant sa muse, la mannequin d’origine roumaine Renée Perle, en débardeur et élégant pantalon blancs sur la Côte d’Azur.
Plus tard, Freddy Mercury, chanteur du groupe Queen, en fait un de ses vêtements favoris. Porté au féminin comme au masculin, ce petit haut, parfois aussi surnommé marcel, est aujourd’hui un « basique » des garde-robe.
– « Made in Marseille » –
Une entreprise familiale marseillaise, Sugar, continue de le fabriquer avec des métiers à tricoter des années 1950. La rencontre de la fratrie Tokatlian –Jean-Richard, Anne-Marie et Rosemonde, enfants d’un tailleur et d’une maroquinière– avec le débardeur se fait au hasard d’une déambulation dans une rue marseillaise en 1980.
Anne-Marie Tissot (née Tokatlian), cofondatrice de Sugar.
« Mon frère a trouvé un débardeur en coton blanc chez un grossiste. Il me l’a apporté et m’a dit +débrouille-toi, fais quelque chose avec ça+. Je l’ai porté chez un artisan teinturier et tout à coup dans les couleurs, les bleus, les verts, les roses, c’était magnifique! »
La marque expose au salon du prêt-à-porter à Paris et « tout à coup, c’est la foule. On a le monde entier sur le stand pour le débardeur. Joseph à Londres (célèbre magasin de prêt-porter), des magasins de New York, c’était incroyable ! »
Aujourd’hui, dans l’atelier du quartier de La Rose, les métiers à tisser rachetés aux anciens équipementiers du port continuent leur délicat ballet circulaire, avec leurs centaines d’aiguilles, leur carrousel de bobines de fil de coton qui tricotent le fameux tube de coton en maille Richelieu.
« Quand on a affaire à des machines si vieilles, historiques, il faut les bichonner », explique Pierre Parisi, opérateur technique gardien d’un savoir-faire unique.
Avec une vingtaine de salariés, Sugar fabrique artisanalement, en collaboration avec un teinturier basé en France et du coton cultivé en Europe des centaines de débardeurs par mois avec la volonté de faire « une mode durable ».
Avec ce « made in France, nous sommes un peu le dernier des Mohicans » alors que tellement d’usines textiles ont été délocalisées en Asie et ailleurs, sourit Anne-Marie.