Les oeuvres scintillent, dansent, on s’y reflète. Nous sommes là dans un ailleurs, un autre monde enchanteur. On en sort sur un petit nuage. Merci le Petit Palais pour ce moment. Et merci Jean-Michel Othoniel, l’artiste naturellement.
La nuit tombée ou sous le soleil, cette promenade (entrée libre) dans la totalité du musée du Petit Palais et son jardin n’en sera que plus merveilleuse.
Il s’agit là de la plus grande exposition personnelle de Jean-Michel Othoniel depuis sa rétrospective « My Way » il y a 10 ans au Centre Pompidou. Je me souviens encore de mes frissons devant « La barque », taillée dans du bois brut, construite par les boat-people cubains qui ont fui la pauvreté et la dictature, et qu’il a « récupérée ».
Après avoir travaillé la cire et le souffre, Othoniel s’est spécialisé dans le verre, sa signature, ses subtilités de couleurs et ses reflets. Et pour cela, il collabore avec les meilleurs artisans verriers du monde.
Pour le Petit Palais, en plus de 70 œuvres nouvelles, Othoniel invente
Le Théorème de Narcisse: un homme-fleur, qui en se reflétant lui même, reflète le monde autour de lui.
Selon Gaston Bachelard, « le narcissisme n’est pas toujours névrosant, il joue aussi un rôle positif dans l’œuvre esthétique. La sublimation n’est pas toujours la négation d’un désir. Elle peut être une sublimation pour un idéal. » L’artiste tisse une toile d’irréalité, d’enchantement, d’illusion,
de libération de l’imagination.
Rivières de briques bleues,( l’escalier extérieur du Musée est une idée lumineuse), Lotus et Colliers d’or, Couronne de la Nuit, Nœuds Sauvages et Precious Stonewalls miroitants, ces œuvres sont enchâssées dans le bâtiment, suspendues aux arbres, posées sur l’eau ou sur des socles. Elles dialoguent avec l’architecture du Petit Palais et les ors de son jardin.
Le Petit Palais explique que « cette exposition est un message d’ouverture offert gratuitement au public. Elle est placée sous le signe du ré-enchantement et de la théorie des reflets que l’artiste développe depuis près de dix ans avec la complicité du mathématicien mexicain Aubin Arroyo ». Cette collaboration n’est pas forcément très facile à comprendre pour le commun des mortels…(ndrl).
» Cette invitation au rêve nous permet, le temps de l’exposition, de résister à « la désillusion du monde ».
Le Théorème de Narcisse
Jean-Michel Othoniel jusqu’au 2 janvier.
Exposition gratuite sans réservation présentée au sein des collections permanentes et dans le jardin du Petit Palais.
Mardi au dimanche de 10h à 18h. Vendredi jusqu’à 21h
Le Théorème de Narcisse
Co-édition Actes Sud / Perrotin. Ouvrage Anglais/Français 23 x 17,5 cm 48 pages (deux cahiers photos de 20 pages), un premier sur les œuvres dans le jardin et le deuxième sur les nouvelles sculptures intitulées Noeuds Sauvages et Precious Stonewalls
Texte central: un dialogue entre Jean-Michel Othoniel et Christophe Leribault, dont voici un extrait.
Christophe Leribault, directeur du Petit Palais : Comment vous êtes-vous approprié l’espace du Petit Palais, qui est un lieu historique ?
Jean-Michel Othoniel : C’est le Petit Palais lui-même, son histoire et son jardin qui sont le fil conducteur de l’exposition. Le bâtiment est construit autour d’un jardin, c’est un éden caché au centre de l’architecture. Inspiré par les ors du Petit Palais et les fleurs de son jardin, j’y ai installé des sculptures nouvelles; œuvres miroirs reflétant les fresques du portique peintes par Paul Baudoüin, Lotus monumentaux posés à la surface de l’eau des bassins pavés de mosaïques bleues et or, Colliers d’or accrochés aux branches d’arbres venus d’orient, perles érigées dans les niches du péristyle. Cette référence à l’eau-miroir se développe ailleurs: rivière de briques bleues qui coule le long des marches de l’escalier d’honneur, ou bien se figent en lac miroitant, dans les profondeurs des salles du bas.
Mes œuvres dialoguent avec l’architecture, reflètent le bâtiment et son jardin. Le jardin 1900 est un lieu de découverte, d’utopie avec ses fleurs venues de pays lointains que les visiteurs venaient découvrir lors des grandes expositions universelles. Cette végétation inquiétante a inspiré de nombreux écrivains notamment Huysmans, qui, fasciné par ces fleurs nouvelles invente dans A Rebours un jardin de fleurs de métal imitant les fleurs tropicales. Mes Lotus d’or posés sur l’eau ne sont pas si loin de
cette vision immuable du jardin qui porte à la contemplation et au sacré.
Vous avez souhaité marquer fortement l’entrée de ce parcours initiatique ?
Le seuil est un espace privilégié. L’œuvre in situ qui nous accueille est une rivière de mille briques bleues miroitées qui dévale le grand escalier du Palais, cascade dont la gaîté chante comme dans un conte. Elle est visible de jour comme de nuit, elle marque le début d’un chemin ; fraîche et claire,
nous sommes amenés à la suivre. C’est une invitation au merveilleux, en elle se reflète l’extravagante grille en bronze dorée dessinée par Charles Girault pour l’Exposition universelle de 1900.
Vous poursuivez l’œuvre de Girault en introduisant dans le décor du
Petit Palais une pièce qui restera dans les collections du musée, «La Couronne de la nuit» ?
La Couronne de la nuit vient d’une forêt du nord de l’Europe, longtemps
cette sculpture est restée cachée sous les chênes tricentenaires d’une
futaie cathédrale. Aujourd’hui, telle une araignée de verre et de couleurs, elle emplit la coupole immaculée de l’escalier nord, en écho à
la coupole sud peinte par Maurice Denis. Elle nous invite à quitter sa
lumière pour descendre l’escalier vers un univers plus obscur, accueilli
par le funeste groupe d’Ugolin prêt à dévorer ses enfants, sculpté par
un Carpeaux envoûté par l’Enfer de Dante.
De nombreuses œuvres s’attachent en effet à un «jeu des briques de
verre»: pouvez-vous nous expliquer ce dispositif et sa valeur symbolique ?
Dans les autres œuvres exposées, les nombreuses briques de verre venues d’Inde sont déclinées sous de multiples formes, rivières bleues posées au sol ou bas-reliefs accrochés au mur. Comme des partitions dessinées, les variations des briques colorées sont composées comme une polyphonie de petits pans de murs précieux accrochés aux cimaises du musée.
Au fil des jours confinés pendant l’année 2020, j’ai décliné la même trame dessinant les projets d’une série de bas-reliefs intitulés Precious Stonewall comme des tableaux bicolores ou des triptyques monochromes. Par ce jeu des briques de verre, je me reconnecte avec mes premiers amours en art, le
minimalisme et l’art conceptuel. Bien que travestie par les couleurs et la chatoyante matière du verre indien, chaque œuvre est rigoureusement unique, dessinée et composée selon une pratique méditative précise, quasiment spirituelle, imposée par les temps d’isolement et par la vie d’ermite menée pendant le confinement. Ce fut pour moi l’occasion de revenir à mes fondamentaux, en effet, c’est
au musée d’art moderne de Saint-Etienne, à la fin des années soixante-dix, je me suis formé à l’art, notamment à travers les œuvres de Donald Judd et de Carl Andre. Outre certains titres qui évoquent clairement les événements de Stonewall en 1969 à New York, l’esthétique et l’engagement des années
soixante-dix, sont présents dans cette série de dix-neuf œuvres spécialement conçues pour l’exposition du Petit Palais.
La brique de métal est un nouveau module dans votre travail ?
L’Agora, grande construction de briques de métal nous attend au bas
de l’escalier intérieur. C’est une sculpture pénétrable comme une
grotte, elle est née d’un projet rêvé à New York, celui de créer un
espace de parole protégé dans la ville. Une nouvelle agora où nous
serions protégés des enregistrements et regards omniprésents que
nous impose notre société nouvelle, cette œuvre refermée sur elle même nous protège des agressions numériques. C’est un projet qui
pourrait exister dans l’espace public à une échelle plus grande, je
pense que seule l’œuvre d’art a encore aujourd’hui le pouvoir de nous
abstraire du monde et de sa réalité.
Vous parlez d’un projet de «ré-enchantement»: de quoi s’agit-il ?
D’une résistance à cette désillusion du réel ?
Par cette exposition, j’ai voulu créer ainsi un lieu d’irréalité, d’enchantement, d’illusion, de libération de l’imagination, un lieu à la frontière du rêve qui nous permet le temps de la visite de résister à la désillusion du monde. Constituée de plus de soixante-dix œuvres nouvelles,
«Le Théorème de Narcisse» est vraiment placée sous le signe du réenchantement et de la théorie des reflets que j’ai développée depuis
près de dix ans avec la complicité du mathématicien mexicain Aubin
Arroyo et que je montre pour la première fois en France.