La seule fois où j’ai pêché une anguille, c’était dans les années 75. Pas très récent, je vous l’accorde. Nous avions embarqué, un groupe d’amis, dans une péniche pour remonter le canal du midi au départ de Carcassonne.
A bord de la péniche, il y avait une nasse que nous avions de mémoire, posée dans l’eau près de la rive, sous un platane, la nuit venue. Et nous avions dégusté l’anguille le lendemain, fumée au feu de bois. J’en garde un souvenir ému.
Longtemps abondante, et dans le monde entier, parfois considérée comme nuisible, l’anguille est menacée aujourd’hui de disparaître.
Comment a évolué la perception de l’anguille ?
Dans les années 60, on trouvait des anguilles dans tous les cours d’eau et les estuaires. Elle a longtemps eu une mauvaise réputation en Europe à cause de son apparence de serpent. On l’a accusée de tous les maux : elle était par exemple accusée à tort de manger les saumons. L’anguille est même classée comme nuisible en France jusqu’en 1984. Et il faudra attendre 2007 pour que l’Union européenne adopte un règlement obligeant les Etats membres à mettre en place un plan de gestion de l’anguille ».
Eric Feunteun, professeur en écologie marine au Muséum national d’histoire naturelle français se souvient que les civelles (les alevins de l’anguille) avaient peu de valeur commerciale.
« Ma grand-mère tenait un café à Nantes, tout près de la Loire. De temps en temps ses clients les moins fortunés lui apportaient un seau de civelles pour payer le café. Elle acceptait en râlant ».
Alors que le « recrutement » (arrivées dans les eaux continentales depuis l’océan) de civelles européennes est aujourd’hui tombé à moins de 10% de son niveau des années 1960-1970, l’anguille européenne serait la plus menacée des espèces de ce poisson, juste devant ses cousines japonaise et américaine.
Pourquoi sa population décline?
« On a accusé la pêche professionnelle d’être à l’origine de ce déclin, mais ce n’est pas le facteur principal. C’est une erreur à la fois scientifique et politique de le croire. On sait que les raisons sont multiples.
« On sait que la pollution a des effets bien supérieurs à la pêche sur le stock: les pesticides, les médicaments, les plastifiants, les métaux, sont responsables d’une perte de taille » et donc de fertilité des anguilles. Les courants marins (qui) changent avec le réchauffement climatique aussi ont une part de responsabilité. Le Gulf Stream va un peu moins vite et plus loin vers le nord, du coup le trajet des larves est plus long et la mortalité augmente ».
« On a détruit l’habitat de l’anguille, c’est ça qui l’a vraiment tuée », enrage pour sa part, Andrew Kerr, président de l’organisation Sustainable Eel Group. L’Europe a perdu les trois quarts de ses zones humides en moins d’un siècle, et compte plus d’un million d’obstacles en tout genre (barrages, écluses, gués…) ce qui perturbe les migrations et décime les populations d’anguilles ».
Comment sauver l’anguille?
En ne visant que la pêche, « on se trompe. Tant que l’animal est pêché, il y a une économie derrière, on s’intéresse à l’espèce. Si plus personne ne la pêche, qui tirera la sonnette d’alarme? »
La reproduction artificielle, une piste?
Des chercheurs japonais planchent depuis les années 1960 sur la reproduction artificielle de l’anguille, qui est inexistante.
L’anguille peut-elle disparaître?
« C’est une famille qui existe depuis 60-70 millions d’années, qui a survécu aux dinosaures, et qui paradoxalement s’est très peu diversifiée », souligne Eric Feunteun. Il n’existe en effet que 19 espèces et sous-espèces d’anguilles.
Si l’anguille a peu évolué c’est parce qu’elle est très performante: elle naît dans des zones où d’autres poissons ne peuvent pas se développer car leurs larves n’y trouvent pas à manger.
Mais la survie de l’espèce est « aujourd’hui mise à mal par les pressions humaines: 70 millions d’années d’existence et quarante années de déclin », résume M. Feunteun qui garde espoir « car l’anguille a su repartir au cours des crises climatiques passées à partir d’un tout petit nombre d’individus.
La Femme Qui Marche avec /AFP.